Importante affaire que celle jugée par le tribunal de grande instance de Paris (voir sa copie sur le site
Juriscom). Elle opposait la SCPP (Société Civile des Producteurs Phonographiques) et un particulier, Anthony G.
Dans le domaine du P2P, le jugement était pour le moins classique puisque l’intéressé fut arrêté pour deux chefs d’inculpation, signalés en 2004 :
D’une part, la reproduction et la diffusion de MP3, Divx, et programmes, tout en mettant à disposition 1875 fichiers mp3 sur le
réseau. D’autre part, la détention chez lui de recels de contrefaçons sur supports informatiques, fruit de ses différentes activités sur le réseau. Des activités faites évidemment sans l’accord des intéressés.
Les constats furent effectués le 21 septembre 2004 sur KazaA par Stéphane Luino, un agent assermenté oeuvrant pour les ayants droit. Sans trop de difficultés, celui-ci repérait le pseudo d’Anthony et listait 1663 fichiers téléchargés. Dans le lot, 1212 morceaux d’artistes dont les producteurs sont membres de la SCPP.
Afin d'identifier Anthony, l’agent utilisa un logiciel pour repérer son adresse IP. L’IP fut transmise à un officier de police judiciaire, qui prit contact avec le fournisseur d’accès qui délivra les coordonnées du prévenu. Ensuite, perquisition, et début de l'affaire... Signalons déjà que cette procédure ne fut pas jugée contraire à la loi Informatique et Liberté, car elle n’a acquis de caractère nominatif que lors de la procédure judiciaire, et non avant. Lors du jugement, le 8 décembre dernier, le Tribunal de Grande Instance de Paris estima en outre que ces différentes activités de téléchargements (download) relevaient de la pure copie privée. Il rejoint par là un flot de décisions françaises, cimentant cette position au regard du Code de la propriété intellectuelle.
Mise à disposition sans contrefaçonBeaucoup plus surprenant : jusqu’à lors, toutes les décisions considéraient la mise à disposition (et
a fortiori l'upload effectif) comme une contrefaçon, sans discuter. Or, là, Anthony est justement relaxé alors qu’il proposait du contenu protégé sur le net ! Comment expliquer cela ? La position du juge va vérifier si l’élément moral de l’infraction (l’intention de violer la loi), condition fondamentale dans le procès pénal, est bien là... en vain !
Il rappelle d'abord deux textes complémentaires :
- L'article L211-3 du Code de la propriété intellectuelle qui pose que "les bénéficiaires des droits ouverts ne peuvent interdire les reproductions strictement réservées à l'usage privé de la personne qui les réalise et non destinées à une utilisation collective". Cet article autorise la copie privée.
- L'article L 335-4 du CPI qui punit lui, en dehors de la copie privée, "toute fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public, (...) réalisée sans l'autorisation, lorsqu'elle est exigée, de l'artiste interprète, du producteur de phonogrammes, ou de l'entreprise de communication"
Le juge souligne encore un principe important : la loi pénale est d'interprétation stricte. Ensuite, le recours à un logiciel de partage ne peut jamais présumer la mauvaise foi. Pour preuve, les logiciels P2P, permettent d'accéder à des fichiers d'oeuvres tombées dans le domaine public. Enfin, il n’existe pas en droit pénal de présomption de refus d'autorisation de mise en partage des ayants droit d'oeuvres musicales.
Partant de ces fondations, le magistrat va sonder l’intention d’Anthony sur la mise à disposition : il estime qu'en procédant au téléchargement de fichiers musicaux, il s’est juste contenté de placer une copie des oeuvres dans des répertoires partagés accessibles à d'autres utilisateurs. Rien de plus. Avait-il conscience de violer la loi ? Non... tout simplement parce qu'il ne disposait d'aucune information pour éviter l'usage d'oeuvres dont la diffusion n'était pas licite ! En fait, personne ne peut faire le tri entre les fichiers à diffusion autorisée et ceux à diffusion non autorisée puisque les logiciels P2P n’offre pas une telle option technique. Et puisqu’il n’existe pas de présomption de refus d’autorisation, la culpabilité d’Anthony n’est pas démontrée. Une démonstration inédite qui va compliquer la tâche en matière de preuve...
La rémunération pour copie privée à la rescousseD'ailleurs, sans trop s’étendre sur la question, le magistrat pose que «
l'absence de vérification préalable, sur les bases de données des auteurs ou éditeurs, de la possibilité de disposer librement d'une oeuvre ne saurait caractériser une intention coupable. » Et il se garde bien de dire comment donc les ayants droits doivent signaler les conditions de diffusion de leurs oeuvres.
Pour finir, le juge conclue indirectement que ceci n’est en rien injuste : le Code de la propriété intellectuelle organise une rémunération pour copie privée. Celle-ci vise l'ensemble des supports d'enregistrement, sans exclure les supports numériques. Dès lors, que ce soient des échanges sur le net ou de main à main, «
ce cadre juridique permet de préserver les intérêts légitimes des ayants droit des œuvres », qui profitent de la rémunération pour copie privée. Nul doute que la brèche sera accueillie fraîchement du côté des ayants droit et saura trouver un certain écho auprès des rédacteurs de la loi DADVSI.