Cette décision est une véritable petite bombe juridique dans la traque aux pirates présumés du web : le Conseil d’État vient d’annuler la décision de la CNIL d’octobre 2005 qui avait refusé l’autorisation de traitement automatisé demandée par diverses sociétés de producteurs.
Retour sur le premier épisode : en cette année, la SACEM, la SCPP, la SDRM, et la SPPF avaient déposé une demande pour se voir autoriser une traque aux pirates présumés sur les réseaux P2P. Ce passe-partout était le premier échelon d’un système dit d’échelle graduée des ayants droit contre les particuliers : une fois découvert, l’internaute proposant des fichiers contrefaits devait recevoir des lettres de menace ou de sensibilisation, via les FAI, avant d’éventuelles plaintes contre les récalcitrants.
Défaut de proportionnalité La CNIL avait cependant refusé d’ouvrir cette chasse-là : «
l’envoi de messages pédagogiques pour le compte de tiers ne fait pas partie des cas de figure où les fournisseurs d’accès à internet sont autorisés à conserver les données de connexions des internautes ». Surtout, la CNIL avait effectué ce que l’on nomme en droit, un contrôle de proportionnalité.
La recherche et la constatation des infractions étaient disproportionnées par rapport au but poursuivi, car, en substance, s’orchestrait là une action de masse et non des actions ponctuelles dans la lutte contre la contrefaçon. De plus, cette pêche avec filet à petite maille pouvait aboutir à une collecte massive de données à caractère personnelles, et permettre la surveillance exhaustive et continue des réseaux d’échanges de fichiers «peer to peer». Enfin, la sélection des internautes susceptibles de faire l’objet de poursuites s’effectuait sur la base de seuils liés au nombre de fichiers mis à disposition. Or, ces seuils sont déterminés uniquement par les sociétés d’auteurs, révisables unilatéralement sans préavis. Un méli-mélo peu en harmonie avec la protection des données personnelles qu’entend assurer la Commission Informatique et Liberté.
À piratage de masse, action de masse On connaît la suite : la DADVSI tenta de revenir par la voie législative sur ce désaveu via le système de contravention pour download et upload sur les seuls réseaux P2P. Un cantonnement pénal exclusif qui fut alors
sactionné par le Conseil constitutionnel, l’échange de fichiers dits pirates pouvant se faire par mail, messagerie instantanée, etc.
Avec la décision d’annulation du Conseil d’État (qui n’est pas encore publiée), tout recommence : les magistrats ont estimé, selon les premiers éléments, que compte tenu du nombre de P2Pistes, ce dispositif de contrôle automatisé était parfaitement proportionné au but recherché. À piratage de masse, action de masse.
Nouvelle demande, nouveau refus ? «
La SCPP accueille avec beaucoup de satisfaction cette décision. Elle rappelle que le rejet de sa demande par la CNIL ne lui a pas permis (...) de mener les actions de prévention et de répression de la piraterie musicale, qui étaient pourtant effectuées dans la plupart des États de l'Union européenne » indique la SCPP dans un communiqué, avant de faire son constat : «
la France est aujourd'hui un des pays où la piraterie sur internet est la plus développée et où, en conséquence, le marché légal de la musique en ligne se développe le plus lentement. » La SCPP qui rêve d'un système
de radars et d'amendes automatiques ne peut que se féliciter de cet épisode.
Une nouvelle demande va donc être faite devant la CNIL qui devra contorsionner son argumentation pour tenir compte de l’arrêt du C.E. sauf à risquer encore une annulation. Autant dire que le traitement pénal du P2P en France est suspendu à cette décision, sauf à attendre une nouvelle tentative législative,
promise par Nicolas Sarkozy aux ayants droit.